Pourquoi j'écoute encore Noir Désir

Publié le par Mademois'Hell

Bonjour mes petits chats,

 

Je l'avais annoncé sur Twitter il y a quelque temps : cet article ne va pas être marrant. Vous avez d'ailleurs le droit de m'unfollow rien que pour le titre si vous pensez que l'article va vous poser problème. Si vous décidez de me laisser une chance de m'expliquer et de me lire quand même, je pense qu'il faut que j'ajoute un TW: violence.

 

Je suis apprentie féministe.

J'écoute Noir Désir.

 

L'idée de cet article m'est venue il y a deux semaines, quand j'ai dû, devant ma prof de chant et certaines des chanteuses de mon groupe vocal, justifier le fait que j'écoute encore Noir Désir. Ce n'était pas la première fois. En revanche, c'était la première fois que certaines personnes ne voulaient même pas m'écouter. Ce que je trouve dommage et fatigant. C'est cette fatigue qui me pousse à me justifier par écrit et par le menu, une bonne fois pour toutes.

 

Oui, je me dis "apprentie féministe".

Oui, j'écoute Noir Désir.

Non, je ne trouve pas ça antinomique.

 

Oui, je sais ce qui s'est passé. Je sais qu'il y a onze ans, Bertrand Cantat a tué sa compagne. C'est choquant, c'est révoltant et il n'est malheureusement qu'un cas de violences conjugales parmi trop d'autres. Plus médiatisé, donc il interpelle davantage. S'il était le seul homme coupable de violences, ce serait encore trop. Hélas, il est loin, très loin d'être le seul.

Oui, j'ai conscience de la gravité de ces actes.

Non, je ne suis pas nécessairement ravie de son retour sur la scène musicale. Je n'ai pas réussi à écouter ne serait-ce qu'une note de Détroit. Je n'y arrive pas. A chaque fois que j'ai essayé, une boule s'est installée dans ma gorge avant que je parvienne à cliquer sur "Lecture".

J'aimerais même pouvoir dire qu'il n'aurait jamais dû revenir, qu'il aurait dû se faire oublier une fois la liberté recouvrée. Mais même cela, j'en suis incapable. Qui suis-je pour décider qui a le droit de s'exprimer ou pas ? Je veux dire, il y a plein de gens dont l'expression me heurte, me blesse ou me dégoûte. Mais qui suis-je pour empêcher ces expressions ? Alors je me bouche les oreilles et j'essaie de parler moi aussi. Je n'ai rien de mieux à faire. Je n'ai pas le droit d'empêcher quelqu'un de parler ou de pratiquer son art. C'est peut-être un peu con, mais je tiens encore à la notion de liberté. De libre-arbitre, plutôt.

Alors oui, Bertrand Cantat a le droit de continuer à écrire, à chanter, à faire son métier. Moi, j'ai le droit de ne pas me forcer à l'écouter si je ne peux pas.

 

Si j'ai ce blocage, je devrais aussi l'avoir concernant Noir Des'. Du moins, pour les gens qui m'ont forcée à me justifier récemment, ça coule de source.

Pour beaucoup de gens, beaucoup de femmes, il n'est plus question d'évoquer quoi que ce soit de la carrière de Cantat. Y compris Noir Désir. Je peux comprendre cette réaction ou ce raisonnement. Je ne les partage pas.

 

D'une part, je suis une grande sentimentale, une grande nostalgique. Lorsque j'aime quelque chose, je ne l'oublie pas comme ça. Je ne suis pas quelqu'un qui décide du jour au lendemain de se séparer de quelque chose ou de quelqu'un qui a fait partie de sa vie. Et Noir Désir fait partie de ma vie.

Mes révoltes d'adolescente se sont faites en écoutant Un Jour en France, mes maigres espoirs de l'époque étaient bercés par Comme elle vient ou A ton étoile. Toute petite, j'appréciais Aux sombres héros de l'amer sans en comprendre le texte. Plus tard, j'ai été touchée, émue par des textes comme Le vent nous portera, A l'envers à l'endroit ou Des armes. J'ai secoué la tête sur Tostaky et En route pour la joie.

Pour la faire courte, j'ai encore un lien émotionnel fort avec les chansons de Noir Désir. Ces mots, ces sons ont encore une résonance, et c'est quelque chose sur quoi je ne peux pas revenir comme ça, parce que je le décide.

 

D'autre part... Noir Désir, ce n'est pas que Bertrand Cantat. C'est aussi Serge Tessot-Gay, Denis Barthe et Jean-Paul Roy. De super musiciens, qui n'ont rien à voir avec les agissements de Cantat.

Je ne sais pas si mon raisonnement est juste ou pertinent, mais je dissocie les personnes de l'oeuvre. J'ai beaucoup à redire sur l'une des personnes qui composaient ce groupe, mais je n'ai rien à redire sur les trois autres ou sur leur oeuvre commune. J'aurais le sentiment de faire un amalgame assez moche et dangereux si je rejetais tout en bloc.

 

Je comprends que vous ne soyez pas d'accord. Je peux comprendre aussi que vous trouviez que je suis une féministe en carton à cause de ça. Mais je voulais me justifier, m'expliquer.

 

Alors je laisse ça là.

 

A très vite avec un article qui parlera vraiment de musique, cette fois.

Publié dans The kingdom of the bla

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